n°147 - 25 Juillet 2019
REPERES
Inciter au recyclage des déchets du bâtiment
Clotilde PETRIAT, Juriste senior à la Direction du Développement Durable et Innovation Transverse d’Eiffage ; Olivier CASTAGNO, Responsable du pôle déchets d’Amorce ; Bernard HARAMBILLET, Vice-Président de la FNADE ; Patrick LIEBUS, Président de la CAPEB ; Jacques PESTRE, Directeur Général de Point P.
Les premiers commentaires de cette présentation formulés par Bernard HARAMBILLET soulignent la nécessité d’aborder le secteur des déchets du bâtiment par segments.Il salue aussi ce travail qui a réuni 14 fédérations, une collaboration inédite remarquée aussi par Jacques PESTRE. Clotilde PETRIAT et Olivier CASTAGNO soulignent l’importance d’une approche territoriale différenciée liée à une grande disparité de situation dans les territoires.
Bernard HARAMBILLET estime que le projet de mise en place d’une REP, qui a récemment été intégré à la feuille de route, risquerait de ne pas suffisamment prendre en compte les besoins hétérogènes des divers acteurs. Il faut prendre le temps d’analyser ces disparités pour trouver des solutions pertinentes. Il faut aussi poursuivre les travaux avec les collectivités territoriales pour les déchetteries par exemple.
Patrick LIEBUS déplore, quant à lui, le recours systématique aux dispositions contraignantes et aux systèmes de sanction. Il rappelle que les entreprises sont responsables de la gestion de déchets qui appartiennent en fait aux clients, et que les artisans et petites entreprises ne sont pas en mesure de mettre en place les dispositifs particulièrement structurés auxquels ont recours les grandes entreprises. Il souligne aussi que les artisans qui procèdent au tri des déchets font régulièrement face à une concurrence déloyale de la part d’autres entreprises, qui n’ont pas les mêmes pratiques en matière de gestion des déchets, ce qui leur permet de pratiquer des tarifs plus compétitifs. C’est ainsi que la Charte des Artisans Engagés a été élaborée afin de valoriser les pratiques vertueuses des artisans pour développer l’économie circulaire. Il souligne néanmoins que la question du maillage est essentielle. Les artisans souhaitent donc attirer l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de renforcer la proximité des déchetteries et l’amélioration de leurs conditions d’accès.
Clotilde PETRIAT insiste également sur la dimension territoriale. Elle pointe aussi la problématique majeure de la traçabilité. Outre une meilleure surveillance des flux de déchets, la traçabilité permettrait de renforcer les filières de recyclage existantes, et de développer des solutions innovantes pour traiter certaines catégories de matériaux qui ne disposent actuellement d’aucune voie de valorisation. Elle présente plusieurs expérimentations innovantes développées par Eiffage afin de répondre à ces enjeux :
- Le recyclage et la réutilisation in situ du béton détruit, notamment dans le cadre de travaux VRD, mais également, à terme, pour la construction de bâtiments, une tonne de béton recyclé permettant d’économiser 600 kg de granulats extraits de carrières ;
- Le développement d’ateliers de recyclage par la branche routes de l’entreprise, qui permettent la fabrication de nouveaux matériaux par addition d’un liant végétal aux déchets récoltés in situ ;
- La création d’une plateforme regroupant plusieurs des acteurs impliqués dans une importante campagne de travaux à Bordeaux, laquelle intègre plusieurs points de mutualisation de services et de stockage d’équipements ou de déchets.
Il est ensuite rappelé que depuis le 1er janvier 2017, la reprise distributeur demande aux entreprises de négoce de reprendre sur leurs sites de distribution les déchets issus des matériaux qu’elles vendent à destination de professionnels. Jacques PESTRE indique qu’il est impératif que les pouvoirs publics tiennent compte des délais nécessaires aux acteurs économiques pour s’adapter aux modifications de la réglementation. Outre le fait que les petites entreprises ne disposent pas toujours des moyens suffisants pour s’adapter à ces évolutions, une trop grande précipitation peut conduire à des investissements inadaptés.
Bernard HARAMBILLET souhaite attirer l’attention sur l’importance d’un fléchage précis des subventions publiques. Il est aussi indispensable que l’ensemble des acteurs finance les processus de collecte et de valorisation équitablement. A titre d’illustration, il n’est pas admissible que les collectivités territoriales supportent le coût des déchets générés par les entreprises du bâtiment, peu importe leur taille. Une collaboration approfondie entre les acteurs économiques et les collectivités apparaît indispensable.
Olivier CASTAGNO rappelle quant à lui que le secteur public n’a pas été structuré pour gérer de tels volumes. L’amélioration du tri à la source et le renforcement du maillage territorial constituent donc un levier indispensable pour améliorer les performances. La mise en place d’une REP permettrait à la fois de flécher efficacement les subventions publiques pour développer le maillage et de résoudre les difficultés liées aux responsabilités respectives du maître d’œuvre et du client dans la gestion des déchets. L’amélioration du maillage, l’augmentation des investissements dans la R&D et la réalisation de bilans matières complets doivent constituer les priorités du secteur.
Patrick LIEBUS souligne la nécessité de l’écoconception des matériaux tout comme Clotilde PETRIAT, qui évoque aussi l’écoconception des projets. En effet, l’enjeu concerne les opérations de réhabilitation et de restructuration : la déconstruction sélective requiert des délais plus importants que ceux qui sont généralement demandés. Ce modèle nécessiterait donc le développement d’un écosystème favorable, en coopération avec l’ensemble des acteurs impliqués, dont les collectivités territoriales.
Concernant les déchetteries professionnelles, Patrick LIEBUS rappelle que les prix d’entrée ont un impact non négligeable pour les artisans, et pourtant il faut encourager les pratiques vertueuses. Jacques PESTRE souligne pour sa part les difficultés rencontrées pour des projets d’ouverture de déchetteries, et la nécessité de recourir à des sous-traitants spécialisés pour satisfaire à la réglementaire complexe.
Tous les participants concluent sur l’importance du dialogue entre les diverses parties prenantes ainsi que le développement d’un écosystème favorisant l’économie circulaire, avec notamment la prise en compte des délais nécessaires pour s’adapter aux évolutions de la réglementation ; Olivier CASTAGNO indique que le groupe de travail de l’Ademe et d’Amorce publiera prochainement un guide sur les partenariats entre les acteurs publics et privés. Bernard HARAMBILLET salue les échanges nourris de cette table-ronde, cette capacité à travailler ensemble qui se développe. Il insiste sur la nécessité de réfléchir sur les dimensions techniques et économiques de ces enjeux, pour répondre véritablement aux problématiques sans agiter les esprits autour des dépôts sauvages ou de la gratuité, questions qui ne seront pas résolues avec une REP.